dimanche 20 janvier 2013

χαῖρε !

Bienvenue à l'ombre du portique !


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Les débuts...

Il était une fois... (c'est bien comme début, non ?) Il était une fois un homme qui vivait en Grèce... Dans la rue, dans le dépouillement. Il portait le nom de Diogène (Διογένης) et est né à Sinope vers 413 avant notre ère.

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On l’a présenté tantôt comme un philosophe austère, tantôt comme « clochard céleste » voire un débauché, hédoniste et irréligieux, tantôt comme un ascète sévère… Mais qui était cet homme ?

Il fut l’éveil d’une conscience face aux beaux parleurs. Il professait que la philosophie est une pratique et non une théorie. Diogène de Sinope, qui a marqué durablement les Athéniens mais aussi tout le monde antique, vivait dehors (dans la douceur de l’Attique cependant), dans le dénuement, vêtu d'un simple manteau, muni d'un bâton, d'une besace et d'une écuelle. Dénonçant l'artifice des conventions sociales, il préconisait une vie simple, en harmonie avec la nature, et, plutôt qu’une belle maison, il s’abritait dans une grande jarre (pithos) pour dormir. Il avait des méthodes vigoureuses et provocatrices voire ironiques. Il invitait chacun à l’examen de conscience et à l’esprit critique. Inutile de vous dire qu’il n’aimait guère les moutons bien alignés et bêlant à l’unisson !

Un jour, en plein midi, Diogène parcourait la grande place d’Athènes (agora), avec une lanterne à la main… un attroupement s’agrégea… « Que fais-tu ? » demandaient les moutons. Diogène répondit : « Je cherche un homme ! »

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Je cherche un homme !
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Diogène se moquait bien d’être une attraction pour la belle société athénienne. On raconte que les jeunes femmes venaient le provoquer devant sa poterie et lui jetaient des os comme aux chiens.

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Diogène reprit ces traits cruels et se présenta comme un chien dont il revendiquait la liberté (kunos, génitif du grec kuôn : « le chien »), d'où son autre surnom : Diogène le Chien…

Lecteur, je te vois sourire quand je revendique l’héritage de ce personnage… pourtant… Diogène accueillit comme élève un homme moins revêche, moins cynique mais exigeant… Il se nommait Zénon et c’est lui qui nous invite à l’ombre du portique… C’est le juste milieu. Pas au milieu de la place publique mais pas dans une école dédiée… Simplement à l’abri du soleil brûlant, sans rien cacher…



Bienvenue donc, cher visiteur, à l’ombre du portique, parmi les Stoïciens qui travaillent à la vie heureuse.

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Quel est donc l’enseignement du Portique ?

Quel est donc l’enseignement du Portique ?



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Les vertus comme jalons


Qui n’a pas souri en entendant le mot « vertueux »…
Prenons quelques minutes pour découvrir, ou redécouvrir, ces jalons qui peuvent nous guider sur le chemin de la vie heureuse.

Les Anciens distinguent quatre vertus, c'est-à-dire quatre qualités qu’il nous faut développer « colenda nobis uirtus est ».
Car, il faut bien l’avouer, nous sommes, dès notre naissance, un jardin en friche qu’il faut cultiver ! Et les qualités ne poussent pas toutes seules.


La Force




La Force (fortitudo), que l’on pourrait aussi appeler Courage ou encore Volonté, permet de surmonter nos faiblesses, dont la peur, mais aussi la paresse qui nous abaisse.

Cultiver la Force, c’est cultiver un esprit critique qui nous permet de dire « oui » comme de dire « non » ; c’est aussi réaliser pleinement notre nature humaine.


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La Justice



La Justice (Iustitia), ou équité, est la vertu qui consiste dans la volonté, constante et ferme, de donner à chacun, collectivement mais aussi individuellement, ce qui lui est dû.

Pour le stoïcien, la justice n’est pas l’application d’un droit écrit, qu’il soit divin ou humain, c’est une attitude qui repose sur la vérité et l’honnêteté. C’est prendre ce qui nous est dû, par le travail, mais aussi par la philosophie. C’est respecter, moralement comme physiquement, ce qui est à autrui. Elle est universelle et propre à la nature de l’homme.



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La Tempérance



La formule grecque ΜΗΔΕΝ ΑΓΑΝ (Rien de trop) illustre bien la Tempérance. C’est la vertu qui nous permet de goûter aux plaisirs de la vie sans basculer dans la dépendance et l’excès. La tempérance nous protège de la colère et de la démesure qui peuvent nous dénaturer voire nous perdre.

Par la Tempérance, l’homme peut atteindre l’harmonie intérieure et la santé, tant psychique que physique, en maîtrisant ses pulsions par la raison.


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La Prudence



Prudentia, c’est la vertu qui consiste à mettre en œuvre la raison pour discerner, en toute circonstance, le Bien et choisir les justes moyens de l’accomplir. C’est la vertu qui nous permet de nous protéger des dangers, physiques et moraux, pour conserver notre intégrité.



Mais comment, me direz-vous,

 cultiver les vertus ?




Faut-il du terreau ? Un arrosoir ? Je plaisante !

Le terrain est en nous et nous portons les germes dans notre nature. Il faut du temps. C’est aussi un combat mais qui n’est pas insurmontable ! Il n’est pas difficile d’être juste, équitable, prudent, raisonné, gourmet sans être goinfre… savoir affirmer son être.

Les vertus sont nos jalons sur un chemin difficile où parfois on perd les traces. Mais comme sur tout chemin, l’effort paie et nous pouvons, par nous-mêmes, mesurer notre progrès sur la voie de la sagesse.

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Ama fata ! Accueille ta destinée…

Ama fata ! Accueille ta destinée…



Ami lecteur,


Je voudrais aborder l’une des questions fondamentales de l’Ecole du Portique qui laisse une trace durable encore visible dans le sens de l’adjectif « stoïque » (Académie Française, éd. 1935 : 1878 adj. des deux genres. Qui tient de l'insensibilité et de la fermeté que s'imposaient les stoïciens. Vertu stoïque. Moeurs stoïques. Visage stoïque. Coeur, âme, courage stoïque. Maxime stoïque.)

La fermeté d’âme enseignée par l’école stoïcienne a souvent été considérée comme une soumission volontaire à la fatalité, un fatalisme voire une attitude d’indifférence hautaine. Je t’invite, lecteur, à te pencher plus en détail sur ce point.

Partons du concret !


Nous savons déjà que le stoïcisme s’inscrit dans l’action, il écarte donc naturellement l’idée que nous sommes soumis à une destinée.

Nous sommes des organismes vivants soumis aux lois du milieu dans lequel nous vivons. Nous pouvons agir sur certains paramètres (ce sont nos choix) mais pas sur d’autres (ce sont les indifférents). Notre énergie peut-être portée sur ces facteurs que l’on peut modifier. Nous exerçons alors notre choix. Comment agir face à ce qui nous échappe… Par exemple, nous sommes mortels, nous appartenons à une espèce animale… Toute révolte est inutile et stérile, ce serait peine et temps perdu de vouloir échapper à notre destinée mortelle.

Le stoïcisme nous invite à nous réjouir de notre destinée « aime ton destin » (ama fata !). Je suis mortel, hé bien, je me réjouis d’avoir cette vie où je peux m’accomplir… j’accueillerai la mort comme j’accueille avec joie ma naissance. Avant la vie, après la vie ? Qu’importe ces questions qui échappent à notre action… je tiens ma vie et je peux agir pour le bien dans une gratuité superbe. Je suis femme, je suis homme… Hé bien, je me réjouis de mon sexe et m’efforce de considérer chaque différence comme une richesse dans l’équité.

Une épreuve surgit dans mon existence… je peux la subir et me lamenter sur mon sort… Mais je peux prendre conscience que cette épreuve est une chance de me dépasser.

Je comprends que « cet accueil de notre destinée » peut apparaître comme un fatalisme et un pessimisme radical. Mais comment être pessimiste lorsque l’on agit pour l’accomplissement de soi ? Sans égoïsme, car celui qui est accompli agit pour les autres…

Tu peux commencer à discerner, cher lecteur, ce que signifie l’ancienne devise des stoïciens latins : abstine et sustine… Cela ne signifie nullement vis dans l’abstinence en supportant tes malheurs ! C’est abstiens-toi des vices et de la soumission… tu n’es pas soumis à un destin mais tu as une nature que tu acceptes. Prends en main cette destinée, là où tu peux agir avec les vertus.

Le Portique enseigne que chaque être humain est libre même dans les alea de la destinée. Il nous appartient d’être des humains libres dans la plénitude de notre nature.

C’est cette liberté acceptée qui est exprimée dans des expressions telles que : « Tu peux me tordre le bras, tu ne peux tordre ma pensée ».


Résumons-nous !

Le sage doit exercer les choix avec la lumière de la raison, de la connaissance, dans le respect des vertus. Il accueille le reste sans disperser son énergie à ce qu’il ne peut pas modifier. N’est-ce pas accomplir pleinement notre nature humaine ?

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La vérité (Veritas, ἀλήθεια (Alètheia)


La vérité est généralement définie comme la conformité ou la fidélité d'une idée ou d'un jugement avec son objet, le latin ueritas « vérité » s’apparente à uerus, « réel ». Le terme se définit bien comme la conformité de ce que l'on dit ou pense avec ce qui est réel.


Cette définition est professée par l’école stoïcienne :

La vérité prend corps dans le recoupement des points de vue. Il n’y a pas une seule vérité mais un ensemble de points de vue qui permettent de décrire le vrai.
Le sage s’efforce d’affiner les points de vue pour avoir la plus juste représentation.

La vérité prend tout son sens lorsqu’elle est mise en perspective dans l’examen des causes et des effets, la compréhension de la nature. Elle est le socle de la raison et consolide les vertus.

C’est la vérité qui va éclairer l’examen de conscience de celui qui marche vers le souverain bien, le sage (celui qui sait).

Le mot qui l’exprime en grec, ἀλήθεια, signifiant la chose Dé-voilée (ἀ-λήθεια), illustre bien l’image crue de la réalité qui doit s’imposer au sage. Ne pas « habiller » ce que l’on voit, ne pas travestir le réel. Il a une portée pédagogique très forte et la vérité signifie que la Connaissance doit être portée à tous sans être ni cachée ni déviée.




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Science sans conscience n’est que ruine de l’âme

La question de la Connaissance se pose naturellement à l’École du Portique. Aux yeux des stoïciens, la Connaissance vient enrichir la réflexion de l’homme et contribue à armer la raison. Il n’existe donc pas d’antagonisme comme il peut y en avoir avec les courants de pensée qui disposent une croyance.



Celui qui suit le chemin tracé par les Anciens pourra puiser dans l’héritage scientifique pour mieux comprendre l’agencement du monde et de la Nature. C’est toute la vision de la physique ancienne qui est enrichie, voire remplacée par les nouvelles connaissances.

Cette intégration des connaissances dans la pensée stoïcienne va enrichir le raisonnement du philosophe qui aura une dette vis-à-vis des scientifiques. Il lui faudra proposer, en contrepartie, son examen de conscience aux scientifiques.





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Déjà François Rabelais dans son œuvre encourageait le lecteur à enrichir son Savoir mais le mettait en garde :

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

"Et veulx que de brief tu essayes combien tu as proffité, ce que tu en pourras mieulx faire, que tenant conclusion en tout sçavoir publicquement envers tous - contre tous: hantant les gens lettrez, qui sont tant à Paris comme ailleurs. Mais par ce que selon le sage Salomon, Sapience n'entre point en ame malivole, - science sans conscience n'est que ruyne de l'ame."

Les horribles et espouvantables faictz & prouesses du tresrenommé Pantagruel Roy des Dipsodes, filz du grand geant Gargantua, Composez nouvellement par maistre Alcofrybas Nasier.




Je reprends cet avertissement rabelaisien pour conclure sur ce petit point. Toute Connaissance doit être mesurée et estimée à la lumière des vertus. Ce n’est pas seulement un comité d’éthique qui va disposer qu’une chose est bonne ou nocive… c’est chacun, qu’il soit chercheur, responsable d’un projet, personnalité publique… ou encore simple citoyen du monde.



C’est chacun dans sa conscience qui peut dire : cela est « bon », cela est « juste » ou bien telle application est nocive et contraire à la Nature ou à l’accomplissement de notre humanité.



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Otium, le temps pour soi

Otium, le temps pour soi


Parmi les biens qui sont donnés, le temps est le plus précieux et nous en sommes d’irrésistibles dépensiers…

Notre chemin dans la réalisation de nous-mêmes demande du temps. N’ayons pas peur de le dire, il est nécessaire d’avoir du temps pour soi.

Ce temps pour nous-mêmes va nous permettre ces méditations sur la vie, sur notre vie, sur la splendeur de la nature… c’est dans ces moments contemplatifs que notre être mûrit et exprime sa créativité. Or, tout concourt à meubler coûte que coûte ce temps que nous pouvons grappiller.

Je crie « au voleur ! » car on nous dérobe ce trésor ! Combien de fois, déjà enfant, ai-je entendu « tu perds ton temps »…

Mais quel est donc ce bien ?

Nos pères opposaient l’activité « negotium » au temps pour soi « otium ». Combien de mauvaises traductions rendent « otium » par « oisiveté » voire « paresse » !

Notre société contemporaine ne supportant plus l’inactivité, nous sommes plongés entre le sommeil, le travail et le loisir. Le loisir s’est substitué au temps pour soi… Il faut occuper l’esprit, le distraire ; tout comme occuper le corps pour aller au-delà de sa simple hygiène.

Non, ne vous méprenez pas ! Je ne fais pas ici le procès des loisirs, nous avons besoin de nous détendre, de nous changer les idées. Je veux simplement rappeler qu’insidieusement notre vie s’expose à l’excès… on nous a volé le temps pour nous.

Alors, essayons d’être équitables dans la répartition du trésor… une part pour le sommeil, une part pour le travail, une part pour le loisir et une part de temps pour nous-mêmes.


Ne repoussons pas à demain ces moments nécessaires à notre épanouissement car le temps coule comme le sable fin s’échappe de nos doigts !
Donnons-nous ce temps pour soi !